L’endométriose et ses maux au travers de mes mots
Au travers de mes mots, je ressens le besoin d’accoucher de maux silencieux.
Tapi dans l’ombre dans mon corps depuis le jour où je suis devenue femme, un « caramel » particulier se répandait silencieusement chaque mois dans mon abdomen.
Toutes ces années à se loger en moi à mon insu, pour se révéler au grand jour, à coup de crises de douleurs chaque fois plus fortes, chaque fois plus longues, comme une vérité trop longtemps ignorée qui tentait de se faire jour.
Cette vérité que mes yeux ne voyaient pas et que la vie cherchait à me transmettre.
C’est un samedi matin, après de nombreux mois de crises de douleurs, que le couperet est tombé.
J’étais atteinte par l’endométriose. Cette maladie féminine dont on commence seulement à s’intéresser depuis une quinzaine d’années, dont les médecins ignorent encore pourquoi, comment… reste encore mal comprise aujourd’hui…
L’endométriose, pour faire simple, c’est les muqueuses de l’endomètre qui, au lieu de s’écouler par la voie naturelle, prennent en partie le chemin de ton abdomen, pour se loger au cœur de toi, te créant une inflammation à l’intérieur, se logeant là où elle peut s’accrocher comme du caramel qui viendrait au fil du temps coller tes organes les uns avec les autres.
Cette maladie se manifeste chez chacune différemment, se met en veille parfois, ou fait souffrir chaque mois. Pour certaines femmes, les douleurs sont présentes dès leurs premières règles, pour d’autres, elles se révèlent plus tard, d’intensité plus ou moins forte. Chaque histoire de femme atteinte d’endométriose est différente.
Ce qui me parait commun c’est qu’elle vient nous chercher au cœur de notre féminin.
J’ai gardé le silence pendant ces longs mois sur cette maladie, trop souvent associée à l’infertilité. Je me sentais trop fragile pour être exposée à cette croyance, parce que j’ignorais encore ce qu’il en était réellement pour moi.
Aujourd’hui, je ressens le besoin de témoigner pour toutes celles qui souffrent, parfois en silence, et aussi pour dénoncer des postulats prônés comme des vérités qui n’en sont pas et les maltraitances d’une partie du corps médical méconnaissant, voire ignorant.
Parce que non, avoir mal pendant ses règles n’est pas normal. Non l’endométriose n’est pas forcément synonyme d’infertilité. Oui, il y a des médecins qui ignorent et d’autres qui se sont spécialisés dans cette maladie mal comprise et grâce auxquels aujourd’hui, nous pouvons être soulagées (via les antalgiques ou le traitement hormonal) ou être éventuellement opérées.
Petit retour en arrière.
A l’intérieur de moi, pendant des années, tu as été, Chère Endo, comme une présence que je ressentais parfois, sans pouvoir y mettre des mots.
Souvent, tu m’as donné des semblants de coups de poignard dans le bas ventre. Je n’ai pas voulu m’inquiéter. Ça passait comme le reste finalement.
Depuis quelques années, une fois par mois, tu me faisais mal au point de ne pas pouvoir me tenir debout. J’évitais alors les files au supermarché. Finalement, ça ne durait que quelques heures, donc j’imaginais que ce n’était pas si grave, que toutes les femmes avaient mal comme ça.
En 2012, pendant une grosse année, deux jours par mois, s’est réveillée une douleur à hauteur de mon foie qui irradiait dans mon épaule droite. Aucune explication trouvée côté médical. Du jour au lendemain, elle s’est arrêtée.[1]
Onze ans plus tard, tu t’es rappelée à moi.
En 2023, tu es montée en puissance. Tu m’as terrassée.
Tu as commencé par me gâcher ma Saint-Valentin. Tu as poursuivi en m’empêchant de faire des activités simples comme travailler dans mon jardin.
Tu m’as faite vomir de douleurs et couchée au sol. Tu m’as couverte de honte.
Un médecin de garde m’a dit que ce n’était rien qu’une petite constipation, rien de méchant ; « Prenez quelques sachets de laxatif, ça passera » !
Une nuit, emmenée aux urgences, j’étais incapable de tenir debout tant la crise était puissante. Une infirmière m’a malmenée, mal parlée pour finir par m’ignorer alors que je vomissais de douleurs et qu’elle était occupée sur son portable.
Je n’avais même plus la force de rétorquer.
Tu m’as rendue si vulnérable cette nuit-là.
Une autre fois, tu m’as clouée dans mon canapé pendant des heures, me privant de me réunir avec mes frères pour la fête de notre maman.
Comme si ça ne suffisait pas, pour mon anniversaire, tu m’as tordue de douleur et c’est bourrée d’antalgiques que je suis allée au restaurant, priant pour ne pas devoir rester debout plus de deux minutes, pour ne pas subir une nouvelle crise et gâcher la soirée.
A mon retour d’Israël, c’est la nuit que tu m’as sortie de mon sommeil à coup des contractions. Pliée en deux, des heures durant, sur la carpette de la salle de bain sans antalgique, à verser des seaux de larmes et à subir sans comprendre ce qui m’arrivait.
Que pouvais-je faire ? Aller aux urgences pour me faire maltraiter encore ?
J’ai juste attendu que la douleur cesse.
Cette fois-là, c’était la fois de trop, cette fois où tu m’as faite souffrir sept jours d’affilée et empêchée de me lever. C’est la première fois que les maux duraient si longtemps.
Tu m’as véritablement pris une partie de moi cette semaine-là. Tu m’as fait serrer les dents comme jamais je n’avais eu à le faire. Tu m’as empêché d’aller travailler, de poursuivre mon entrainement pour le marathon et, une fois encore de m’occuper de mon jardin et de mon quotidien.
Tu m’as poussée dans la déprime car, pour la première fois, j’ai réalisé que je n’étais pas invincible, que quelque chose à l’intérieur pouvait m’empêcher de vivre normalement.
J’ai avancé chaque jour avec ce stress d’une nouvelle crise plus forte que la précédente.
J’ai essayé de faire bonne figure auprès de mes proches, cachant mon inquiétude grandissante sur ce qui se passait et ne trouvait pas d’explications auprès des médecins.
Après les faux diagnostics, j’ai partagé ma détresse à une amie qui m’a parlé de toi. J’espérais qu’elle ait tort. Je ne voulais pas que ce soit toi à l’intérieur de moi.
Grâce à elle, j’ai pris rendez-vous chez une gynécologue spécialiste. Je déprimais à l’idée que tu me terrasses à nouveau pendant ces deux mois d’attente qui me séparaient de cette consultation. La chance a voulu que je sois reçue plus tôt suite à un désistement. L’Univers semblait être avec moi.
C’est le cœur serré que j’y suis allée, seule et gonflée de stress.
Dès mes premiers mots, la gyné savait que c’était toi. Elle me l’a annoncée après l’échographie. Un torrent de larmes s’en est suivi.
Toutes les pièces du puzzle se sont mises en place ! C’était toi les coups de poignard, c’était toi les douleurs qui terrassent…
La fatigue chronique et mes insomnies, c’était toi aussi !
Depuis 24 ans, c’était toi !
Mes terribles douleurs trouvaient une explication, mais je faisais quoi de toi à présent ?
D’un côté, j’étais heureuse de ne pas avoir souffert aussi fort dès le début de ma vie de femme. De l’autre, j’avais le sentiment de t’avoir laissé champ libre durant toutes ces années pour te loger profondément en moi en silence.
La gyné m’a expliqué que c’est toi qui m’empêchait d’aller aux toilettes normalement.
Tu n’engageais pas mon pronostic vital, mais tu engageais tellement d’autres choses… Tu es venue me bousculer à l’intérieur, mais tu as aussi bousculé ma vie d’avant.
Tu es encore mal comprise, tes causes sont incertaines. Si la science a trouvé comment te ralentir, elle ignore encore comment te faire disparaitre.
C’est à coup de traitement hormonal qu’on te ralentit.
Ce qu’on perd en douleur avec le traitement, on peut le récupérer sous forme d’effets secondaires. J’ai eu la chance de le supporter pendant quelques mois sans le revers de la médaille. J’éprouve énormément de reconnaissance car ça m’a permis de revivre un quotidien sans presque plus de douleurs.
Ensuite, j’ai dû passer des examens. Le radiologue m’a annoncé ce qu’il voyait à l’image et que je devais me faire opérer.
A peine sortie, les questions, plus terrifiantes les unes que les autres, se sont multipliées. Les jours me séparant des réponses me paraissaient interminables.
Quelques jours plus tard, j’ai été envoyée vers un chirurgien spécialisé vu l’importance des lésions sur mes intestins.
J’ai passé une IRM. Les résultats révélaient la plupart des lésions localisées sur mes intestins, mais l’imagerie ne permet pas de tout voir ; l’entièreté ne serait visible que lors d’une opération qu’on a fini par fixer des mois plus tard avec deux chirurgiens.
Rester dans l’ignorance est éprouvant.
Durant ces longs mois d’attente, je me suis occupée de moi, de mon alimentation, de mon bien-être dans le but de retrouver la joie de vivre, de continuer à courir malgré les douleurs sur ma vessie et sur mes ligaments utérosacrés et d’adopter une hygiène de vie qui n’enflamme pas davantage mes lésions.
Je trouve important de le mentionner car les médecins que j’ai croisés n’ont jamais évoqué cette hygiène qui pourrait aider, diminuer les effets comme la fatigue chronique, les douleurs sourdes, … ni le recours à l’ostéopathe pour manipuler les organes et aider à ce qu’ils retrouvent leur mobilité.
On m’a même parfois ri au nez quand j’évoquais notamment l’alimentation anti-inflammatoire[2] et pourtant... À force de faire attention et de rester à l’écoute du corps, j’ai constaté que cela avait des effets bénéfiques. Cela m’a permis de tenir les longs mois qui me séparaient de l’opération.
Aujourd’hui.
Pour être transparente, au début, cette douleur m’a cassée moralement car, pour la première fois de ma vie, j’ai compris ce que signifie « la santé est la chose la plus primordiale au monde ».
J’ai vu ma vie quotidienne dépendre de crises de douleurs dont, au départ, je ne connaissais pas l’origine. Des maux qui te paralysent et t’empêchent de vivre tout simplement.
Ça bouscule quand on a toujours fait ce qu’on veut quand on veut. J’avais cette impression d’être en plainte permanente parce que j’étais incapable de fonctionner normalement et je détestais ça.
Ensuite, après le bon diagnostic, j’ai rebondi, j’ai lu, j’ai cherché, j’ai expérimenté. Je n’ai rien lâché et j’ai même franchi la ligne du marathon, objectif qui m’a aidé à traverser des moments difficiles.
Je m’estime chanceuse d’avoir été diagnostiquée après seulement quelques mois de souffrance, là où certaines femmes se plient de douleurs chaque mois depuis des années sans comprendre, essuyant les rendez-vous avec les médecins sans que personne ne trouve l’origine, ou pire, s’entendant dire que ce sont juste des douleurs de femme et qu’elles sont trop douillettes !
Après plusieurs mois d’attente, j’ai eu la chance d’être opérée par un professeur et un chirurgien spécialisés qui ont mis à « mon service » leurs compétences et leur respect.
Il leur a fallu cinq heures pour me libérer de mon « caramel » qui s’étendait un peu partout dans mon abdomen jusqu’au diaphragme. Ils ont fait preuve d’écoute, de bienveillance chaque fois qu’ils sont venus me voir les jours où j’étais hospitalisée.
J’éprouve le besoin de coucher ces mots, d’une part pour souligner les compétences de ces médecins/chirurgiens qui se sont spécialisés pour venir en aide à toutes ces femmes et, d’autre part, tant la gratitude que j’éprouve envers eux et les infirmières qui se sont occupées de moi est immense.
A l’heure où j’écris ces lignes, malgré le post-op douloureux, je me sens reconnaissante d’avoir été épargnée sur bien des aspects, bien des complications. Reconnaissante que le plus dur soit derrière, même si je ne suis qu’au début de la convalescence et que la maladie ne trouve toujours pas de remède.
Je ne veux pas vivre dans la peur des douleurs qui reviennent, mais dans l’espoir que la maladie disparaisse en travaillant sur moi. Je crois en effet que le corps crée ses maladies pour nous interpeler sur quelque chose. Malgré toute cette injustice que l’on peut parfois ressentir, il pourrait être salvateur de s’y pencher.
Je suis reconnaissante envers la vie qui est venue me chercher au plus profond de moi.
Cette aventure a fait la lumière sur les personnes bienveillantes qui se sont manifestées pour moi et qui ont été/sont présentes de près ou de loin. Je remercie du fond de mon cœur chacun/chacune d’entre vous, sans qui l’hospitalisation et la convalescence sembleraient longs.
Je témoigne de mon calvaire car c’est grâce à la parole des femmes qui ont décrit le leur que j’ai été mise sur la piste de cette maladie.
Je voudrais moi aussi être une voix parmi les autres pour aider ou éclairer celles qui en ont besoin et pour rendre hommage à ces superwomen pour lesquelles j’éprouve un profond respect d’avoir été capables d’endurer cette torture physique (mais aussi morale) depuis tant d’années avant d’être diagnostiquées et prises au sérieux.
Il me parait primordial de dénoncer le manque de respect d’une partie du corps médical ignorant sur cette maladie, en espérant que l’endométriose fasse désormais partie des cours imposés en médecine et qu’on lui trouve un remède dans les prochaines années.
Si cette maladie n’engage pas le pronostic vital, elle invalide.
Je tiens à rappeler que chaque femme mérite le respect, encore plus dans ses douleurs.
Parce qu’elle est liée au cycle menstruel, l’endométriose emprisonne parfois la femme dans le tabou, la laissant seule dans ses douleurs.
Le mal ne se voit pas toujours, alors pensez-y avant d’émettre un jugement.
Pour toutes ces raisons, je témoigne ici et je lève un silence que j’avais moi aussi du mal à briser, comme s’il s’agissait d’une honte.
Ces mots avaient besoin de voir le jour et même s’ils ne trouvent échos que chez une seule femme, alors mon but est atteint.
Je reste disponible pour toute celles qui s’interrogent, pour toutes celles qui se sentent prisonnières de leurs douleurs, pour toutes celles qui ne trouvent pas d’oreilles pour les écouter.
Le chemin vers la guérison est plus que jamais un chemin vers soi.
Hélène, le 29 janvier 2024
[1] Il y a une semaine, j’ai appris que j’avais gardé des cicatrices sur le foie de cette époque… ; les lésions finiraient donc par cicatriser.
[2] Je vous conseille la lecture de Fabien PIASCO, L’alimentation anti-endométriose – L’alimentation anti-inflammatoire pour vaincre les douleurs (Études scientifiques à l’appui), Testez Editions, collection NutriDoc.