Le Sak Yant – L’expérience vécue
« Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l’heure est venue. »
Victor Hugo
Alors que la veille j’étais anxieuse, ce matin-là, je me réveille très sereine. Deuxième nuit dans ma chambre dortoir de luxe dans cette magnifique auberge dans le centre de Chiang Mai. Je pouvais deviner la chaleur extérieure à la vue des premiers rayons de soleil qui perçaient le store de la porte-fenêtre.
Je me sens merveilleusement bien. Je profite d’un petit déjeuner thaï dans le restaurant cosy de l’auberge dont les portes-fenêtres sont ouvertes sur l’extérieur laissant pénétrer une douce chaleur dans la pièce. J’entends les bruits de cette ville, qui s’éveille, empreinte du charme et de la sagesse des temples bouddhistes implantés un peu partout.
Neuf heures ! Mon taxi est là ! Me voilà partie avec mon chauffeur qui ne parle pas un mot d’anglais vers un endroit complètement inconnu.
Au bout d’une heure, le taxi finit par s’arrêter au bord d’une grande route. Je sors du véhicule à la requête de mon chauffeur qui m’invite à entrer dans un petit shop qui ne paie pas de mine. J’ignore carrément où nous sommes – merci Google Map pour ton aide !
Une fois le seuil d’entrée franchi, un homme avec de longs cheveux noirs enserrés m’accueille. Il me propose de m’assoir sur une des chaises recouvertes d’un épais tissus disposées le long du mur. Il me sert une tasse de thé et, à ma grande surprise, ne parle pas non plus un mot d’anglais.
Qu’est-ce que je fais là ?!
Hier, suite à ma rencontre avec les éléphants, mon guide du jour m’avait proposé de m’emmener au temple Watphrang Doï suteph. Proposition complètement inattendue que je m’étais empressée d’accepter. Cette escapade de fin de journée m’avait permis de découvrir ce site sacré pour les bouddhistes thaïlandais construit sur la montagne Sutheph. Après l’escalade des 306 marches avec mon guide, j’avais enfin pu goûter à la vue de ce site paisible sous la lumière de cette fin d’après-midi.
Mon guide se faisait un plaisir de tout m’expliquer sur ce temple. Cette rencontre a été l’occasion de nous épancher sur nos vies respectives. Très vite en confiance avec cet homme d’une grande gentillesse, je lui ai demandé s’il connaissait un Maître qui accepterait de pratiquer le Sak Yant sur moi.
Le Sak Yant est un tatouage sacré fait par un prêtre de la religion bouddhique, appelé aussi bonze. Le Sak Yant thaïlandais serait apparu dans l’empire khmer. Les pouvoirs de protection qui lui sont attribués pour repousser les dangers et les mauvais présages étaient d’abord réservés aux bonzes pour ensuite se répandre chez les soldats – pour les protéger pendant leurs combats. La tradition veut qu’une fois le Sak Yant achevé, il soit activé par des mantras (prières) récitées en Pali.
Il me fallait donc trouver un Ajarn (professeur), à savoir un bonze. D’après ce que j’avais lu, pas facile d’en trouver un sans l’aide des locaux. Ma rencontre avec mon guide local du jour allait s’avérer d’une grande aide.
En effet, contre toute attente, suite à ma requête, mon guide avait pris tous les arrangements nécessaires pour que je me retrouve aujourd’hui dans ce shop face à cet homme si mystérieux à la longue chevelure noire.
J’ignorais encore à ce moment que je m’apprêtais à vivre un des instants les plus intenses de ma vie.
Franchement les mêmes questions tournaient en boucle dans ma tête. Est-ce sérieux ? Est-il réellement un bonze ? N’est-ce pas dangereux ? Finalement, grâce à mon guide qui avait pris toutes les précautions afin que j’aie droit à ses traductions en direct par téléphone, je peux poser toutes mes questions au Maître.
Percevant mes inquiétudes, le Maître me tend un gros livre avec des articles écrits d’une part, sur lui, son passé, agrémentés de plusieurs photos et, d’autre part, sur la signification du tatouage que j’avais demandé.
Dans le livre, je comprends que le Maître est en fait appelé Ajarn Dang. Il raconte que son histoire spirituelle a commencé à l’âge de 12 ans lorsqu’il est devenu un moine pendant presque 10 ans. Il a d’abord passé du temps à apprendre les écrits et les incantations de ses anciens pour ensuite assurer la transmission de ses connaissances à la génération suivante.
En ce qui concerne le motif que je désirais, il s’agit du Yant Ha Taew, autrement dit la prière aux cinq lignes. Ce tatouage est souvent considéré comme un design simple alors qu’en fait il y a un pléthore de variations selon le Maître. Chaque Ajarn aura donc sa propre variation. Sa signification :
la première rangée, nettoie et protège votre domicile ;
la deuxième ligne renverse les mauvaises constellations d’horoscope et le mauvais Karma ;
la troisième rangée protège contre la magie noire et les malédictions ;
la quatrième ligne est pour la chance et la fortune et le succès dans ses projets ;
la cinquième et dernière rangée est un charme d’attraction pour vous rendre séduisant (attractif) très sympathique et augmente aussi la chance et la fortune déjà disposée dans la 4ème rangée et empêche les malédictions comme dans la 3ème rangée.
Première ligne, Que tes ennemis fuient loin de toi.
Deuxième ligne, Que les biens que tu acquières soient tiens à jamais.
Troisième ligne, Ta beauté sera celle d’Apsara.
Quatrième et cinquième lignes, Où que tu ailles, nombreux seront ceux qui t’assisteront, te serviront et te protègeront.
Amplement rassurée, je m’apaise et décide de suivre mon instinct.
Le Maître me demande de m’asseoir à contre sens sur une chaise et de poser ma tête sur le dossier de celle-ci. Il commence alors son œuvre armé à ma demande d’un Sak Khem, la version plus moderne en métal du Sak Mai (bambou taillé). Cette baguette en métal pique le tatouage ; alors qu’une main dirige l’aiguille, l’autre exerce des pressions pénétrant la peau deux à trois fois par seconde.
Je redoute le premier coup d’aiguille. Finalement, à la première piqûre, je me dis que je vais pouvoir supporter. Mais la douleur devient vite très intense. Je décide de mettre en pratique ce que j’avais lu pour pouvoir la supporter ; je prends ma respiration, la retient à chaque coup de pen, puis je souffle (état méditatif). J’arrive à me concentrer durant une heure de cette façon, mais la douleur devient de plus en plus insupportable. Le Maître me demande si je souhaite faire une pause. Je décide de poursuivre, bien décidée à en terminer le plus rapidement possible. Prostrée sur la chaise, je sers fort les dents pendant que je sens les battements de mon cœur à travers ma carotide taper sur le dossier.
Enfin, après une heure vingt de travail, le Maître s’arrête… Ca y est… Il me demande alors de me placer face au Bouddha. Il brandit au-dessus de ma tête et de mon tatouage des petits bambous pendant qu’il récite des mantras en Pali.
Dans son livre, il explique qu’il utilise ces prières pour invoquer la grâce du Bouddha à assister la vie de la personne tatouée à travers la protection, la bienveillance et d’autres traits qui ont des vertus de Bouddha ou de ce qu’il a pu réaliser. Ceci était vrai autant dans l’Antiquité qu’aujourd’hui, les Sak Yant sont exécutés parce que les gens veulent atteindre certaines qualités de Bouddha, le parfait. Ajarn Dang dit que le Katas chanté pour chaque partie du dessin sacré n’a pas changé. La seule différence est l’instrument utilisé. Tant que le chant scandé est fort dans l’esprit et contrôlé avec un discours concentré, il est toujours exécuté traditionnellement.
En outre, pour réaliser le Sak Yant, Ajarn Dang, comme beaucoup d’autres Ajarns, mixe des recettes d’encre traditionnelles avec de l’encre occidentale. Certaines recettes permettent d’obtenir des huiles au moyen d’herbes spéciales ayant différents traits de pouvoir. Ce sont des recettes Puttakhun pour invoquer la bienveillance et dieu et, dans certaines encres, il y a aussi des minéraux magiques comme le Leklai – qui signifie « métal gracieux » qu’on peut trouver dans les cavernes sacrées, qui se révèleraient seulement aux moines qui gardent le secret des sources. Il est dit que ce métal se révèlera seulement à ceux ayant un haut degré d’Éclaircissement dans la foi Bouddhiste. Chaque Ajarn a ses propres recettes. L’utilisation de feuille d’or dans le Sak Yant est seulement arrivée ces 100 dernières années. C’est une pratique moderne.
Selon Ajarn Dang, les facteurs les plus importants dans le Sak Yant sont le texte et l’encre utilisés. Beau ou pas, l’efficacité d’un Sak Yant est présente grâce à la capacité de l’Ajarn de l’activer en utilisant la grâce de Bouddha combinée aux vertus médicinale de l’encre.
Une fois cette expérience aboutie, je sors du shop complètement « à l’ouest ». Je retourne dans la ville de Chiang Mai en quête de soins pour ma nouvelle griffure. Il est très difficile de décrire comment je me sens. J’ai l’impression d’être une boule d’énergie, d’être remplie de choses positives. Un large sourire reste empreint sur mon visage tout au long de cette journée magique. Je me sens lumineuse. Je suis heureuse en réalité. Le soir venu, je m’empresse de raconter mon aventure à mon ami canadien.
Bien que cela fasse des années que je souhaite me faire tatouer le Sak Yant, je suis arrivée en Thaïlande sans trop d’attentes. J’avais décidé de faire confiance. Finalement, une fois de plus, la vie me montre que tout arrive en lâchant prise.
« L’intuition est un éclair que Dieu nous prête. »,
Anne Barratin
Hélène, le 15 mars 2018